Théorie de la perception. La culture à l’ère de l’intelligence artificielle. Si la reproductibilité de l’art a participé à sa démocratisation le rendant plus accessible dans des formats et supports variés, et si l’on peut déplorer une baisse de qualité sur certaines de ses formes, la vérité du message contenu n’est pas forcément une cible à abattre. Il est cependant plutôt facile de différencier une bonne d’une mauvaise copie, l’exercice est plus complexe quand il s’agit d’identifier la désinformation dans le flux quotidien des images virtuelles. Je fais allusion aux images produites par intelligence artificielle qui envahissent les réseaux sociaux, et qui représentent une chimère artistique avec en légende l’attribution d’une oeuvre existante. Il est difficile de comprendre ce qui motive ces publications, à moins que cela ne serve à alimenter de nouveau mots comme le slop, terme anglo saxon qui cadre désormais le concept d’image artificielle de basse qualité, ainsi que ses dérivés comme le slop mode qui correspond à une attitude de créativité débridée qui n’inclût pas forcément de cadre qualitatif. Je voudrais proposer un parallèle avec le schéma qui se retrouve sur les façades des cathédrales, affichés à valeur identique et gravés dans le marbre aussi bien les travaux des saisons ainsi que les évangiles, le schéma de la parole d’évangile comme valeur absolue. À coté d’une vérité s’inscrit fièrement une idée de l’esprit, un concept, un idéal, qui s’appuie sur la valeur d’une vérité pour tenir debout. Ainsi l’on peut voir Ève sortir du flanc d’Adam sur un haut relief du grand Wiligelmo sur la Façade du Duomo de Modena et les reliefs des travaux des mois sur le même édifice dans lesquels les gens du peuple peuvent se reconnaitre dans leur quotidien et y identifier la vérité sans avoir besoin de savoir lire le latin. La différence entre cet exemple médiéval, témoignage à haut niveau de la recherche de naturalisme des arts figuratifs, et une image bidon, se situe dans le fait que savoir apprécier une oeuvre sculptée au médiéval appartient désormais à peu alors qu’apprécier une image bidon est à la portée de tous. Le peuple à qui était destiné ce langage sculpté n’est plus le même, aujourd’hui on sait lire les mots alors qu’il devient plus difficile de décrypter les images qui sont pourtant omniprésentes dans notre espace visuel quotidien. Peut être n’y accorde-t-on plus assez de temps, il y en a trop. Sans compter qu’aujourd’hui la sculture romane subit une baisse d’engouement, j’ai souvent entendu dire que l’art médiéval est moche ou mal fait, comme si les hommes de cette époque avait perdu la connaissance des proportions, alors qu’il s’agit de perception culturelle à une époque ou l’image la plus courante était celle du tangible. À savoir que nous regardons ces hauts reliefs avec nos yeux contemporains habitués à la photographie et à la représentation du réel au détriment d’une perception par la connaissance des signes et de l’abstraction des formes, perception qui requiert un effort de réflexion. Les images IA proposent à fortiori du réalisme à des situations impossibles, donnant au mot incroyable une dimension nouvelle, avec une perception rapide et paresseuse, à la recherche du grandiose et du spectaculaire, peu importe le degré de vérité contenu. Avec une esthétique bien travaillée l’image répond ainsi au besoin de la consommer et de consommer au passage le temps que nous passons sur le net. Et vice versa. On peut donc considérer que ce type d’image répond à un besoin de le consommer, il se satisfait de notre vulnérabilité de consommateur qui achète un produit sur lequel il est écrit qu’il nous fera du bien alors qu’il ne sert à rien. Depuis le début des arts figuratifs, la puissance de l’image est établie, et cette force qui utilise l’intégralité de nos expériences pour expliquer l’invisible, la foi, l’amour, une réponse à nos désirs, et tout ce qui est conceptuel, possède la même potentialité à travers les images virtuelles qu’avec les images gravées peintes ou sculptées. Ainsi le paysan reconnait son labeur dans le marbre comme une vérité, et si c’est vrai qu’en juillet on fait les foins alors c’est aussi vrai que la première femme est sortie du flanc du premier homme. De même la vérité du cheval en marbre de la photo truquée s’appuie sur l’existence de celle d’une éventuelle copie en bronze. Ainsi avec ce schema par amalgame d’une vérité et d’un concept de l’esprit, on a la recette à copier à loisir pour de la propagande et de la réclame, jusqu’au plus absurde des complots. Il suffit de prendre une vérité et d’y associer une conséquence ou un fait dérivé complètement faux, et de le diffuser en y mettant tous les moyens, la répétition jouant aussi son rôle sur la perméabilité culturelle. Une affiche stigmatisante placardée sur les murs, une vidéo d’un faux journal télé et des punaises de lit, un ovni flou, le concept de profondeur de la lessive, un cheval de bronze en marbre! S’il est facile de comprendre le but de la propagande politique qui est expliquée depuis des années en cours d’histoire au collège, il est plus difficile de comprendre ce phénomène nouveau et à quoi sert vraiment de semer le doute sur l’existence d’une oeuvre et de générer des informations trompeuses sur l’histoire de l’art. C’est le deuxième fake que je vois sur le même cheval en marbre dont l’original en bronze se trouve tangiblement et réellement au musée archéologique de Florence, dans chacun des cas il suffit de décrypter attentivement l’image pour en comprendre l’imposture. On finira par douter qu’une partition de Mozart a été vraiment retrouvée, j’ai l’impression que dans un futur proche plein de poulaillers se révèleraient conserver plein de Van Gogh. De quoi devenir parano. Il est vrai que l’on fait de plus en plus de recherches sur internet, et la rémunération au clic peut inciter à publier n’importe quoi du moment que cela fera le buzz. Encore faut-il savoir ce qu’on fait sur internet, car de notre motivation à y naviguer résulte notre propension à devenir une plus ou moins bonne cible au brain-rotting. L’espace virtuel ou circulent ces images slop accueille tout autant la société de masse que la midcult, unifiant ainsi dans sa propagande une nouvelle forme de Pop culture, différente et fille de la précédente. Peut être assistons-nous à la création d’une nouvelle strate. L’image m’amuse beaucoup et loin de moi l’idée de faire un discours moralisateur, il faut s’amuser avec l’image. J’invite à poser un regard sur le phénomène à distance nécessaire pour imaginer demain, car dans tous les cas l’omniprésence de ces slops produites par IA dans l’espace visuel pose problème, et on y arrive au coeur: Si un activiste qui fait peu importe quoi à propos de l’art comme jeter de la soupe dessus est considéré par certains (des noms des noms!) comme un acteur culturel, si l’industrialisation de la culture a donné naissance à différents strates culturels, comment considérer culturellement ces contenus visuels, ou plutôt comment définir la culture qui émergera de l’ensemble de ces images?
Liens utiles
#slop SLOP https://en.wikipedia.org/wiki/Slop_(artificial_intelligence)
Source photo de la Genesi Wiligelmo https://www.finestresullarte.info/fr/oeuvres-et-artistes/la-genese-de-wiligelmo-le-chef-d-oeuvre-d-un-terrible-revolutionnaire-a-modene
Pour en savoir plus sur Wiligelmo et la sculpture romane de la cattedrale de Modène http://www.unesco.modena.it/it/organizza-la-tua-visita/link-cattedrale/rilievi-della-genesi
Pour en savoir plus sur le Maestro di Artù auteur des reliefs des mois http://www.unesco.modena.it/it/organizza-la-tua-visita/link-cattedrale/porta-della-pescheria
https://www.diapasonmag.fr/a-la-une/un-inedit-de-mozart-decouvert-a-leipzig-50510.html
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