Sans titre cela ne veut rien dire. Évidemment, cette installation a un titre, du moins elle a une description. C’est déjà une photographie d’une installation. Vous pouvez voir une tresse, la mienne, et elle a été coupée par Sabrina la coiffeuse mais ce n’est pas la performance. Le support est une fabrication artisanale réalisée par un forgeron corse, Patrice, mais cela n’a rien à voir. Le fond est un drap de coton que j’utilise pour photographier des œuvres de sculpture, mais ce n’est ni sculptée ni modelée. Qu’ai-je fait ? Du verbe FAIRE qui lie l’artiste ou l’artisan à son œuvre ? J’ai juste demandé au coiffeur de ne pas jeter la tresse, car je savais que cette coupe était motivée par quelque chose. Ensuite, je l’ai fixée à un câble dans le support et j’ai pris la photo. Alors, c’était quoi déjà la question? Est-ce une photographie ? S’agit-il d’une installation ? Est-ce une sculpture ? Une nature morte? Est-ce un concept nu ? Lequel? En fin de compte, répondre au pourquoi est ce qui permet de comprendre ce que c’est, et s’il s’agit d’art ou non, et de quel type d’art. Pourquoi. Pourquoi avoir cette pensée, pourquoi l’extérioriser, et pourquoi utiliser ce comment c’est à dire choisir ce langage.
Essayons de dégager un titre possible : Autoportrait ? Sacrifice? Femina-erectus ? Laisser Sans Titre c’est refuser de donner un indice, aucune clé de lecture, lancer un satellite dans le cosmos sans savoir si quelqu’un écoute ni même si celui qui éventuellement écoute sait lire.
A partir du mot Autoportrait on pourrait comprendre quelque chose grâce à la définition du mot, on sait qu’un autoportrait représente une personne d’une manière ou d’une autre. L’autoportrait paraît alors absent, ou impertinent et plein d’insolence. Mon visage n’est pas là. Dans un monde de selfies, surtout ceux fait en sortant de chez le coiffeur, ce qu’on ne voit pas correspond à la quantité de cheveux coupés laissés par terre dans le salon. Je fais le contraire, je montre ce qui serait normalement resté au sol, le gaspillage de la beauté, je montre le rebut, ce qui est ôté, le sacrifié, l’absent, ce qui ressort comme vide ou invisible dans le portrait réel, la tresse n’est plus là ou elle était hier.
À notre époque, les femmes du monde se coupent les cheveux pour soutenir celles d’Iran, mais je ne le fais pas pour cette raison. En fait, cela n’a pas grand chose à voir avec le féminisme… La notion de sacrifice reste commune, mais elle n’est pas liée à la liberté des femmes. Elle est liée à la notion de chemin, de marche, de nomadisme des hommes qui se déplacent pour diverses raisons. Pendant des années j’ai porté la tresse pour aller à Florence. A Carrare, il n’y a ni Florence ni ma tresse, et c’est la seule réalité. L’absence, le manque, le changement qui demande un sacrifice, et c’est cette personne sacrifiée placée sur un piédestal. Si je mets le sacrifice sur un piédestal, cela signifie que même s’il ne s’agit apparemment que d’une touffe de cheveux, le sacrifice est important. Les cheveux sont une partie superficielle de nous-mêmes, ils relient la femme à l’histoire de la beauté, de l’érotisme et du charme, les cheveux lâchés au vent de Vénus, un presque rien qui porte des significations fortes dans l’art. Peut-on interpréter qu’en coupant mes cheveux j’aurais sacrifié ma beauté ? Non, car je ne suis ni plus ni moins belle !
La beauté réside dans la valeur du sacrifice. Sachant que je ne révèle pas tout, le sacrifice contenu a aussi une dimension ailleurs, cachée, privée, qui appartient au plus profond de moi et des êtres qui me sont étroitement liés. Les liens. Les cheveux. Fils fragiles et fins par conséquent importants. Ce que vous ne pouvez pas voir dans cet autoportrait, mon image et tout ce que je n’ai pas révélé. Cet acte artistique représente la notion de sacrifice à travers une installation dont subsiste une photographie, qui, sans connaitre la biographie de l’auteur, est difficile à comprendre. La vérité de ces cheveux est faite du temps. Étroitement lié au concept de croissance et de parcours, thème qui me tient à cœur, et de la vie. Quand le temps s’entremêle dans la réalité.

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